Propos recueillis par Anusha Rung
Le poème de l'auteure toulousaine Myriam OH, Le nombril de l'oubli - une oeuvre tourmentée, qui prend aux tripes - est publié dans la revue littéraire Soleil hirsute - numéro 2 - automne 2021 (à lire et télécharger gratuitement dans l’onglet Magazine).
D’où vous est venue l’inspiration pour votre poème Le nombril de l’oubli ?
Le nombril de l’oubli ne date pas d’hier (2014, me dit l’informatique — mais peut-être encore avant). Pourtant, la thématique qu’il aborde fait toujours partie des questionnements qui m’animent. La question de la mémoire — celle que l’on peut dater, décrire; celle qui nous échappe, mais dicte malgré tous nos actes du jour. Nous ne sommes pas des êtres vierges qui naissent chaque jour, nous sommes faits de toutes ces formes de mémoire, qu’elles soient conscientisées ou ancrées dans le corps par nos tentatives de refoulement. Ce qui n’est, en soi, pas un problème puisqu’elles nous permettent de construire un socle : point de départ de toute évolution — mais qui peut en devenir un lorsqu’elles deviennent limitantes. Alors, comme il est nécessaire d’apprendre à tomber pour se délester de la peur qu’on colle instinctivement à une action, il me semble nécessaire d’apprendre à oublier pour renouer avec le goût d’être émerveillé. Dans ce texte, il est aussi question des apparences qui nous enferment — d’une énergie qui tend à s’en défaire tout en étant dans le même temps ballottée par elles. Bref, de nos innombrables paradoxes d’être parfaitement humains.
Le nombril de l’oubli est une œuvre tourmentée, voire théâtrale. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’oralité et sa place dans votre écriture ?
À l’époque, j’avais tendance à compartimenter chaque sphère de ma vie : le travail d’un côté, l’écriture d’un autre, le théâtre encore d’un autre, etc. Me disant que chacun m’apportait quelque chose de différent, mais sans jamais faire de lien dans la pratique. Ce n’est que plus récemment que j’ai ressenti le besoin d’unifier ce qui m’anime pour en faire quelque chose qui dépasse chaque apport particulier. Cela dit, même si ce n’était pas conscient à l’époque : l’écrit naissant — me concernant — d’une urgence à dire ce dont on ne peut parler, à tenter de mettre sur la scène du monde ce qui se joue à l’intérieur, il y a un côté réconfortant dans le fait que cela se ressente déjà sans avoir besoin de le justifier nécessairement dans la matière. Mon goût du jour de lier l’écriture à la scène vient sans doute de cet élan naturel agrémenté des différentes expériences vécues qui m’ont donné quelques clés pour le mettre en œuvre; mais aussi, et surtout, des collaborations artistiques qui en découlent, portant alors la matière première qu’est le texte brut vers des horizons qui ne sont perceptibles qu’à plusieurs sensibilités… qui font le choix de s’unir pour partager leur regard.
Vous évoluez à la fois dans le domaine artistique et social. Comment ces deux univers se rejoignent-ils dans votre démarche d’auteure ?
Qui de la poule ou de l’œuf. Éternelle question du serpent qui se mord la queue et ne trouve finalement son sens que lorsqu’on s’extrait de la situation. On en revient à la réflexion précédente qui évoquait cette tendance que nous avons à compartimenter. L’aspect social nourrit la démarche artistique, comme l’inverse est tout aussi vrai. L’acte d’écriture naît — me concernant toujours — de questionnements qui proviennent d’expériences vécues ou vues. Cette volonté de comprendre, de sentir en profondeur, ce qui n’est perceptible qu’en surface. Pareillement, le fait de se poser, de tenter de répondre à ces questions ou de filer la métaphore pour se laisser emporter, contribue à modifier ma vision du monde et ma relation à l’autre. Consciente de ce processus, les ateliers d’écriture créative — que j’ai animés longtemps en profitant de l’espace que m’offraient les différentes fonctions que j’ai occupées, et plus récemment à mon compte dans cet élan d’unification — sont des propositions de clés pour les participants afin d’explorer leur propre univers, découvrir leur voix, tout en se nourrissant de la sensibilité de l’autre et de la force qui découle du collectif.
Quels thèmes importants à vos yeux sont abordés dans vos œuvres ?
En juin dernier, Ce n’est pas ce que tu n’as pas dit, mais la manière dont tu t’es tu est paru aux Éditions Lunatique : un recueil de poèmes qui traite de la thématique de la communication et des difficultés qui y sont liées.
Des thèmes centraux dans ma vie comme, l’écriture, le théâtre ont été des réponses que j’ai trouvées pour dépasser ma propre difficulté à me dire. Sans pour autant avoir la prétention de penser que « j’aurai fait le tour de la question », j’ai pour l’heure le sentiment d’en avoir dit ce que j’avais à en dire. Et, puisque la relation à l’autre passe dans un premier temps par la connaissance de soi-même : la thématique qui me porte aujourd’hui est celle de la quête de soi. Voilà pour les grands thèmes généraux. À l’intérieur, il y a des obsessions qui reviennent, qui tournent en rond, qui avancent, qui reculent, qui tombent et se relèvent. Certaines sont évidentes quand je me relis, d’autres apparaissent par un regard extérieur qui se pose dessus, d’autres ne prendront sans doute leur sens que bien plus tard : quand d’autres expériences m’auront donné accès à une nouvelle lecture du monde. Mais au fond, je crois que nous portons tous en nous les mêmes thèmes — celles d’une même humanité — traduits par le prisme de notre réalité du jour.
Pouvez-vous nous parler des ateliers d’écriture que vous animez, et des projets artistiques auxquels vous collaborez?
Peut-être est-ce ma tendance actuelle à tenter de bâtir des ponts entre les choses qui m’a fait les évoquer dans mes réponses précédentes, mais c’est l’occasion d’y apporter une touche factuelle.
Concernant les ateliers d’écriture créative (j’insiste sur ce qualificatif dans l’idée de délester les participants d’un éventuel poids lié à de précédentes expériences), ils s’adressent à toutes et tous, que le premier pas qui les y emmène soit lié à une démarche personnelle, artistique, ou les deux. L’idée est de « réinvestir sa part créative pour être acteur/actrice de sa vie ». Ils sont une proposition de clé, comme peut l’être toute autre pratique dans la mesure où nous faisons toujours les choses à plusieurs niveaux. On choisit simplement celles qui résonnent le plus en nous. Aussi, animer un atelier d’écriture ce n’est pas dire « je sais faire, je vais vous donner la méthode », mais plutôt « voilà ce qui m’anime, ce que je suis en mesure de partager » tout en invitant l’autre à s’approprier cet outil pour le faire sien. Ces ateliers, je les propose depuis cet été en ligne en visio, mais également en chair et en os dans le lieu que j’habite actuellement : Toulouse. Que ce soit sur internet, dans une structure ou chez l’habitant : l’idée est toujours de construire les choses en prenant en compte les envies et attentes du groupe, tout en portant une attention aux individualités.
Concernant les projets artistiques collaboratifs, ils sont à ce jour essentiels pour moi. Parce que, autant pour l’écriture que pour l’aventure de l’auto-entrepreneuriat par le biais des ateliers d’écriture, bien qu’il y ait des échanges et une volonté de prendre en compte les regards extérieurs : c’est être malgré tout seul dans les choix de cap vers lequel tendre.
C’est une liberté vertigineuse dans laquelle la tendance à se remettre perpétuellement en question — sans doute liée à ce qui pousse à se tourner vers l’artistique — nous confronte encore davantage à nos propres pensées limitantes. Collaborer, c’est une manière de les mettre en lumière pour tenter de les dépasser. Comme pour une relation amoureuse, je ne suis pas certaine qu’on choisisse de se tourner vers telle ou telle personne. C’est peut-être généralement une question de vibrations qui, à un moment donné, se rejoignent et pointent du doigt les points sur lesquels elles peuvent se compléter, pour tendre vers ce on ne sait quoi qui les dépasse individuellement.
Dans les faits, j’ai tendance à me tourner vers des arts et des sensibilités qui réveillent d’autres sens que ceux que ma pratique touche. Peut-être dans une volonté de considérer l’être humain dans sa globalité, et non plus comme la simple somme de ses fragments.
Quels auteurs ou auteures vous ont marquée et pourquoi ?
Le premier nom qui me vient toujours en tête est celui de Jacques Prévert avec Paroles. Peut-être est-ce essentiellement par la découverte de cette poésie dite « libre » que j’ai fait le choix des mots (qui sont pourtant affreusement limitants) pour m’exprimer. Plus qu’une modification de la perception de la poésie, je crois que ça a aussi marqué (et continue à jouer sur) ma vision de la vie. Nous avons entre les mains les cartes d’un monde fait par les mains d’autres hommes d’autres femmes, que nous interprétons nous-mêmes par nos propres héritages respectifs. Le passé ne peut être changé, mais il peut être un outil qui sert l’évolution. C’est encore l’idée des contraintes qui libèrent la créativité dans les ateliers d’écriture, ou la confrontation aux regards extérieurs pour nourrir sa réflexion. Prévert a donc été une sorte de déclencheur d’un processus qui tend vers une libération intérieure. Il y a ensuite d’autres livres — plus que les noms de leurs auteurs — qui me viennent spontanément parce que de la même façon, ces regards ont, à un moment donné, permis d’ouvrir d’autres portes dans ce même processus. Cette liste instinctive du moment n’est évidemment pas exhaustive : Le Mythe de Sisyphe d’Albert Camus, qui débute ainsi « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. », et avec notamment ce fabuleux « L’absurde naît de la confrontation de l’appel humain avec le silence déraisonnable du monde. ». Le pouvoir du moment présent d’Eckhart Tolle, que j’avais acheté par hasard et dont la quatrième de couverture — qui dit de mémoire que « ce livre a le pouvoir de changer la vie » — m’avait fait esquisser un sourire et le laisser dans un tiroir un an ou deux avant d’y poser les yeux — mais peu de temps après l’avoir enfin lu, je changeai enfin de ville.
Conversation avec Dieu — un dialogue hors du commun, de Neale Donald Walsch, dont le titre aurait eu tendance à me faire fuir — mais « dieu » comme tous les mots, n’est qu’un mot dans lequel on met ce que l’on veut — qui part de ce mec qui, fatigué de sa vie, entre dans une colère noire et s’en prend à « dieu » en lui écrivant, et qui lui répond. Il y a trois tomes qui traitent successivement de questions personnelles, planétaires, et universelles. C’est simple et profond. La danse de la réalité, d’Alexandro Jodorowsky, qui est peut-être à mon sens e plus beau témoignage de résilience et qui donne envie de converser avec ce gars-là qui semble avoir tout compris, c’est-à-dire qu’il n’y a sans doute rien à comprendre. C’est un récit de vie qui fourmille de matière à vivre. Il y a aussi la poésie-philosophie de Jeff Foster, entre autres (d’ailleurs, l’éditeur de mon dernier recueil signe ses mails d’un « Thérapoète », et il avait sous-titré un recueil de poèmes qu’il avait traduit et édité du même Alexandro Jodorowsky d’un « Poésophie », et cette idée que la poésie contribue à prendre soin de l’être est une évidence pour moi.
En tant qu’auteure, quelle est pour vous l’ambiance de travail idéale, qui stimule votre créativité ?
Dans les faits, j’écris depuis ma chaise de bureau sur un ordinateur. Comme évoqué précédemment, je crois que l’écriture se fait bien avant ce moment-là. Il faut qu’il y ait de la matière, des expériences, pour que cette alchimie puisse se produire. Mais le « travail » ne se limite pas à cet instant : il le précède et le poursuit. Cela dit, les conditions de l’acte en tant que tel — me concernant — nécessitent de prendre le temps pour y porter une attention toute particulière. En se coupant, à ce moment-là, du monde et de ses distractions, mais aussi de ses propres pensées parasites (j’ai généralement une musique qui tourne en boucle dans les oreilles, peut-être pour tenter de distraire cette appétence de la tête à censurer tout ce qui tend à dépasser les limites qu’on s’impose). Mais ce n’est pas non plus parce que les conditions sont réunies, que la créativité naît instantanément : il faut que ce travail en amont — qu’on ne peut ni nommer ni mesurer — ait eu lieu. Et puis, parfois ce sont justement ces routines, qui à un moment nous ont fait du bien, qui se mettent à nous enfermer; alors le changement est salvateur. Longtemps j’ai écrit surtout le soir (notamment parce que ma vie professionnelle ne me permettait que ce temps pour me consacrer à l’écriture), aujourd’hui c’est plutôt le matin. Parfois, j’écris uniquement en partant de quelque chose qui vient de l’intérieur, d’autres fois j’utilise — comme pour les propositions des ateliers d’écriture — des supports extérieurs qui m’inspirent : une photo, une musique, une phrase entendue, etc. Je crois qu’il est aussi important de pointer du doigt « ce qui marche pour soi », que d’accepter l’idée que rien n’est jamais figé et de faire le pas d’expérimenter d’autres choses… pour continuer à se surprendre soi-même.
Votre citation préférée ?
Comme pour les noms d’auteurs, ou tout ce qui aurait tendance à me relier entièrement à quelqu’un ou quelque chose, il m’est impossible de dire : ça, je l’ai pensé, je le pense, et je le penserai. Il y a bien sûr des coups de cœur de l’instant, des élans qui persistent dans le temps, mais absolument rien que je pourrais prendre comme un fil rouge qui m’accompagnerait tout au long de ma vie. Mais, la citation qui m’est venue spontanément en tête, comme — bien qu’entendue mille fois — elle résonne d’une façon particulière en moi depuis quelque temps, c’est celle d’Antoine de Saint-Exupéry dans Le petit prince : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. »
Myriam OH (Ould-Hamouda) évolue avec le cœur dans les domaines du social et de l'artistique, y trouvant de précieux outils pour planter des graines, qui donneront des plantes et des fruits différents selon le parcours de vie de celui qui les accueille. Poétesse dont le travail s’articule à ce jour autour des thématiques de la communication et de la quête de soi, elle considère l’écriture comme un outil de médiation créatrice et propose des ateliers d’écriture créative nourris par sa double approche sociale et artistique. Comédienne pratiquante, elle travaille en parallèle des projets de spoken word en collaborant avec des artistes issus de différentes disciplines : c’est en donnant vie aux mots par la voix et par le corps qu’elle vibre au plus haut.
Calendrier de l’Avent (du monde d’après), MaelstrÖm reEvolution, 2021
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